Allergies, asthme et cancers liés aux perturbateurs endocriniens rappellent chaque jour l’impact de notre environnement sur la santé. Parallèlement, les structures de soins cherchent à réduire leur empreinte carbone. De cette double exigence est né le rôle d’infirmière santé environnementale, parfois appelé éco-infirmière. Cette professionnelle identifie les expositions toxiques, élabore des plans d’action pour limiter les risques et sensibilise soignants comme patients aux bonnes pratiques écologiques. Depuis 2013, des cursus dédiés forment à cette expertise en combinant diagnostic, pédagogie et gestion de projet durable. Le présent article détaille le cadre, les missions, les compétences, les lieux d’exercice et les perspectives d’évolution d’un métier pionnier à la croisée des soins et du développement durable.
Pourquoi la santé environnementale devient incontournable pour les IDE
Le paradigme « One Health1 » rappelle que la santé humaine dépend directement de la qualité de l’air, de l’eau, des sols et de la biodiversité. Les études épidémiologiques montrent la même tendance : la prévalence de l’asthme, des allergies et de troubles endocriniens progresse dans les zones où l’exposition aux polluants est forte. Les établissements de santé eux-mêmes contribuent à ces pressions, puisqu’ils génèrent déchets plastiques, effluents chimiques et émissions de CO₂. Dans ce contexte, la présence d’une infirmière santé environnementale devient un levier stratégique : elle assure une veille scientifique, traduit les données en actions concrètes et coordonne les équipes pour réduire les risques. Son expertise croise prévention primaire, gestion durable et pédagogie sanitaire, ce qui répond à la fois aux attentes réglementaires et à la demande sociale de soins plus responsables.
Les grands risques à surveiller
- Qualité de l’air intérieur : composés organiques volatils issus des désinfectants et des matériaux.
- Eau et alimentation : résidus médicamenteux, nitrates, micro-plastiques.
- Perturbateurs endocriniens : bisphénol A, phtalates, retardateurs de flamme.
- Rayonnements et lumière bleue : impact sur le sommeil et la régulation hormonale.
- Déchets de soins : plastiques à usage unique, instruments contaminés, médicaments périmés.
Chacun de ces facteurs influe sur le pronostic des patients, d’où l’importance d’une approche globale portée par des professionnels formés à la santé environnementale.
Infirmière santé environnementale : la fiche-métier
L’infirmière santé environnementale exerce un rôle transversal, entre soins, éducation à la santé et accompagnement des structures vers des pratiques plus durables. Elle ne remplace pas l’infirmière de soins généraux, mais vient en appui, avec une approche préventive et globale. Son objectif est de repérer, évaluer et réduire les expositions environnementales nuisibles à la santé, qu’il s’agisse de l’air, de l’eau, des matériaux ou des comportements.
Elle agit aussi bien au niveau individuel (conseils à un patient allergique dans un logement insalubre) qu’au niveau collectif (audit environnemental dans un service hospitalier). Son expertise est de plus en plus sollicitée dans les démarches RSE des établissements, les projets territoriaux de santé et les actions de formation.
Missions concrètes au quotidien
- Réaliser un diagnostic environnemental dans un logement ou un service de soins.
- Conseiller les patients sur les bons gestes pour limiter les risques (aération, produits ménagers, alimentation…).
- Participer à des programmes de prévention : ateliers “logement sain”, éducation à la santé dans les écoles, sensibilisation des professionnels.
- Accompagner les établissements de santé dans leur réduction d’impact environnemental : tri des déchets, substitution de produits toxiques, économies d’énergie.
- Concevoir ou animer des supports de formation sur les enjeux santé–environnement.
Compétences et qualités requises
Le métier demande une solide base en sciences infirmières, mais aussi :
- Une curiosité scientifique pour suivre l’évolution des connaissances en toxicologie et en écologie.
- Des capacités de vulgarisation pour adapter son discours aux patients, soignants ou décideurs.
- Un bon sens de l’observation et de l’analyse pour identifier les expositions invisibles.
- De la rigueur méthodologique pour structurer un plan d’action ou un audit.
- Une posture coopérative pour travailler avec des professionnels aux profils très variés.
Où exercer en tant qu’infirmière santé environnementale ?
L’infirmière santé environnementale peut intervenir dans des environnements très variés, en lien avec la prévention, le diagnostic et la transformation durable des pratiques. Sa mission s’adapte aux besoins du terrain, qu’il s’agisse d’accompagner des individus ou des structures. Cette polyvalence ouvre la porte à différents cadres d’exercice :
- Établissements de santé : hôpitaux, cliniques, EHPAD.
- Exercice libéral : soins à domicile enrichis d’une approche environnementale.
- Collectivités et institutions publiques : programmes territoriaux, diagnostics collectifs.
- Entreprises et associations : sensibilisation, formation, accompagnement RSE.
- Consulting indépendant : diagnostics, plans d’action, animation de projets.
Le métier d’infirmière santé environnementale ne se limite pas à un seul cadre d’exercice. Sa polyvalence permet d’intervenir dans des environnements très variés, à condition d’y intégrer une logique de prévention, de conseil et de transformation durable. Voici un panorama des principaux lieux d’exercice.

Se former pour se lancer
Il n’existe pas (encore) de diplôme d’État spécifique au métier d’infirmière santé environnementale, mais plusieurs formations permettent d’acquérir les compétences nécessaires pour exercer cette fonction de manière professionnelle et reconnue.
L’IFSEN, une référence en France
La formation la plus structurée et reconnue à ce jour est proposée par l’Institut de Formation en Santé Environnementale (IFSEN). Accessible aux infirmières et aux professionnels de santé, elle repose sur 9 modules répartis sur une année, à raison d’un week-end par mois. La majorité du cursus est disponible à distance, ce qui facilite la conciliation avec une activité professionnelle.
La formation couvre notamment :
- les fondamentaux de la santé environnementale,
- l’analyse des risques,
- la conduite de projet,
- la communication et l’animation de prévention.
Elle se conclut par la réalisation d’un diagnostic environnemental réel, ce qui permet d’ancrer les savoirs dans la pratique.
D’autres DU émergents
Quelques Diplômes Universitaires (DU) commencent à apparaître en lien avec les problématiques environnementales et sanitaires. Ils sont souvent ouverts à d’autres profils médicaux ou paramédicaux (médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes…) et permettent une approche pluridisciplinaire.
Formation continue et e-learning
Des modules de formation courte (présentiels ou e-learning) permettent aussi d’acquérir les bases ou de compléter son expertise sur des thématiques spécifiques : qualité de l’air intérieur, gestion des déchets en établissement, perturbateurs endocriniens, etc. Ces formations peuvent être prises en charge par le DPC (Développement Professionnel Continu) ou via le CPF selon le statut professionnel.
Évolutions de carrière : ouvrir le champ des possibles
Se spécialiser en santé environnementale ne signifie pas se figer dans un rôle unique. Au contraire, cette expertise peut devenir un levier d’évolution professionnelle, que ce soit dans un cadre institutionnel, libéral ou entrepreneurial. L’infirmière santé environnementale cumule des compétences techniques, pédagogiques et transversales qui lui ouvrent la voie vers des responsabilités élargies.
Il est tout à fait possible d’évoluer quand on est infirmière, que l’on soit en poste ou en reconversion. L’ajout de la santé environnementale dans son parcours peut accélérer cette transition ou l’orienter vers des secteurs plus engagés.
Référente développement durable
Dans les établissements de santé, certains postes évoluent vers des fonctions de référente DD (développement durable). Cette infirmière pilote alors des projets d’envergure : réduction des déchets, choix des dispositifs médicaux, gestion de l’énergie, achats responsables. Elle collabore souvent avec les directions qualité, hygiène et logistique.
Formatrice ou intervenante en prévention
Grâce à sa connaissance des risques environnementaux, l’éco-infirmière peut devenir formatrice pour les établissements, les collectivités ou les écoles. Elle peut intervenir en prévention santé–environnement dans des contextes variés : crèches, écoles, entreprises, bailleurs sociaux, etc. Ce rôle valorise ses compétences en communication, en animation et en pédagogie.
Consultante indépendante
Certaines choisissent de créer leur propre activité, en tant que consultantes auprès d’associations, de collectivités ou de structures sanitaires. Elles conçoivent des plans d’action, rédigent des rapports, accompagnent des démarches de labellisation ou interviennent dans des formations. Ce positionnement demande de bonnes bases en gestion de projet et en entrepreneuriat, mais il offre une grande autonomie.
Ces évolutions témoignent de la montée en légitimité de la santé environnementale dans les métiers du soin. Elles montrent aussi que cette spécialisation s’inscrit dans une logique de carrière dynamique, porteuse de sens et d’impact.
Regard d’experte
Anne-Sophie Minkiewicz connaît bien les parcours infirmiers en transition. Infirmière de formation, elle a fondé Infirmière Reconversion, une structure dédiée aux bilans de compétences pour les soignantes et soignants en quête de sens ou d’évolution. Elle accompagne chaque année des centaines d’IDE vers de nouvelles voies, dont la santé environnementale.
Selon elle, le métier d’infirmière santé environnementale répond à une double aspiration fréquente :
« Beaucoup d’infirmières veulent continuer à soigner, mais différemment. Elles cherchent à avoir plus d’impact en amont, à prévenir plutôt qu’intervenir trop tard. C’est ce que permet cette spécialisation. Elle donne un nouveau souffle à la profession. »
À travers ses accompagnements, Anne-Sophie observe un intérêt croissant pour les métiers en lien avec l’écologie, en particulier chez les IDE qui souhaitent retrouver de la cohérence entre leurs valeurs personnelles et leur métier. Elle souligne aussi que cette évolution ne demande pas forcément de tout quitter :
« Il est possible d’intégrer une approche environnementale dans son exercice actuel, ou de construire une transition progressive vers un poste plus engagé. »
Le bilan de compétences proposé par Infirmière Reconversion permet de clarifier son projet professionnel, en mettant en lumière les compétences transférables, les obstacles éventuels et les formations utiles pour avancer concrètement.
Premiers pas pour passer à l’action
Se lancer dans la santé environnementale en tant qu’infirmière ne nécessite pas de tout bouleverser du jour au lendemain. Il est tout à fait possible de faire évoluer son exercice pas à pas, en intégrant progressivement des outils, des connaissances et des pratiques écologiques.
Voici quelques étapes concrètes pour amorcer cette transition :
1. Faire le point sur ses envies et ses compétences
2. Se documenter sur la santé environnementale
3. Rejoindre un réseau ou une communauté
4. S’inscrire à une formation adaptée
5. Introduire l’écologie dans sa pratique actuelle
A retenir
Le métier d’infirmière santé environnementale s’inscrit dans une transformation profonde du système de soins. Face à l’augmentation des maladies liées à l’environnement et à la nécessaire transition écologique des établissements, cette spécialisation apporte des réponses concrètes, humaines et engagées.
Elle permet de repenser le rôle infirmier à travers la prévention, l’éducation à la santé et l’amélioration des conditions de vie. Elle offre aussi des perspectives d’évolution professionnelle riches : nouvelles responsabilités, reconversion, création d’activité, engagement dans les politiques publiques.
S’engager dans cette voie, c’est faire le choix d’un soin plus global, plus durable, plus cohérent avec les enjeux de notre époque. C’est aussi redonner du sens à un métier souvent éprouvé, en retrouvant une dynamique de projet et une utilité sociale élargie.
Pour aller plus loin, il est possible de se former, de se faire accompagner, ou simplement d’échanger avec d’autres professionnels engagés dans cette transition. L’éco-infirmière n’est pas un idéal inaccessible : c’est un métier en construction, ancré dans la réalité, et plus que jamais nécessaire.
1 Le paradigme « One Health » (en français : « Une seule santé ») est une approche qui considère que la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes sont interdépendantes.